Histoire de la masturbation ou l'onanisme au fil du temps
En Occident, la masturbation est un sujet qui commence à peine de sortir du tabou dont on l'entoure. Si on reconnaît actuellement ses bienfaits et son rôle essentiel dans l'épanouissement sexuel de l'individu, qu'il s'agisse d'un homme ou d'une femme, il n'en a pas toujours été ainsi.
Sommaire
La masturbation a en effet connu une histoire sombre où se mêlaient interdits religieux et médicaux, croyances et idées fausses.
Une pratique sexuelle longtemps condamnée
Dans l'Antiquité, celle-ci n’était pas particulièrement réprouvée : elle était même fréquente chez les Grecs.
Au Moyen-Age, elle était essentiellement une préoccupation des moralistes chrétiens, elle n'est alors quasiment pas présente dans la littérature médicale.
C'est en 1710 que tout bascule avec la publication de Onania: or, the heinous sin of self-pollution and all its frightful consequences (in both sexes) considered with spiritual and physical advice to those who have already injured themselves by this abominable practice (Onania, ou l'odieux péché de la masturbation, et toutes ses conséquences affreuses pour les deux sexes, avec des conseils d'ordre moral et d'ordre physique à celles et ceux qui se sont déjà causés des dommages par cette pratique abominable) dans laquelle la masturbation est tenue pour responsable de nombreuses maladies et handicaps physiques et psychiques.
Selon l'auteur resté anonyme, cette pratique sexuelle mettrait en péril l'avenir de l'espèce humaine. On craignait, en effet, à cette époque, qu'elle ne limite la capacité de se reproduire en gâchant cette précieuse semence dont on pensait qu'elle était limitée à une certaine quantité pour chaque homme.
Remarque : On sait aujourd’hui que les testicules de l’homme fabriquent des milliers de spermatozoïdes par minute et pratiquement jusqu'à la fin de ses jours !
En 1760, le médecin Samuel Auguste Tissot, publie L'onanisme. Dissertation sur les maladies produites par la masturbation dans lequel il décrit les conséquences plus que néfastes de ce vice sur la santé. Cet ouvrage devient une sorte de référence dans le milieu médical.
Les années passent et médecins, éducateurs, pédagogues, moralisateurs restent tous unanimes concernant la nocivité de l'onanisme.
Au XIXème siècle, tous les médecins définissent la masturbation comme une maladie qui fait peur.
Il faudra attendre l'arrivée de la psychanalyse et de la sexologie pour que de nouvelles idées puissent voir le jour, notamment avec le rapport du docteur Alfred Kinsey Sexual Behavior in the Human Male (le comportement sexuel de l'homme) publié en 1948 dans lequel l'auteur révèle que cette activité est largement répandue dans la population puisque 92% des hommes se masturbent ou se seraient déjà masturbés.
Dès lors les mentalités commencent à évoluer vers une lente et progressive acceptation de cette pratique sexuelle désormais de moins en moins considérée comme un vice affreux et scandaleux.
Un vice responsable de bien des maux
Au cours des siècles, elle s’est vue accusée d’engendrer tous les maux tels que saignement de nez, asthme, souffle au cœur, migraine, épilepsie, folie, éruptions cutanées, mauvaise odeur, surdité, cécité, maladie mentale ou pilosité anormale de la paume des mains ! Ces mythes ayant été inventés par l’homme afin de dissuader toute personne d’y avoir recours.
Pour illustrer cela, voici quelques extraits tirés de l'ouvrage du médecin Samuel Auguste Tissot :
« Toutes les facultés intellectuelles s'affaiblissent, la mémoire se perd, les idées s'obscurcissent, les malades tombent même quelque fois dans une légère démence. (…) Ils sont sujets de vertiges ; tous leurs sens, mais surtout la vue et l'ouïe s'affaiblissent ; leur sommeil, s'ils peuvent dormir, est troublé par des rêves fâcheux »
« Les forces du corps manquent entièrement ; le développement physique de ceux qui se livrent à cette abomination, avant qu'il soit fini, est considérablement dérangée. Presque tous deviennent hypocondriaques ou hystériques, et sont accablés de tous les accidents qui accompagnent ces fâcheuses maladies ; tristesse, soupirs, larmes, palpitations, suffocations, défaillances. On en a vu cracher des matières calcaires. »
« Les douleurs les plus vives sont un autre objet des plaintes des malades ; l'un se plaint de la tête, l'autre de la poitrine, de l'estomac, des intestins, de rhumatismes. »
« On voit non seulement des boutons au visage, c'est un symptôme des plus communs, mais même de vraies pustules suppurantes ; on en voit dans le nez, sur la poitrine, sur les cuisses ; on ressent des démangeaisons cruelles dans ces mêmes parties, il paraît même des excroissances charnues sur le front. »
« Plusieurs malades deviennent incapables d'érections. Un grand nombre est attaqué d'une gonorrhée. (…) D'autres sont tourmentés par des priapismes douloureux. Il y en a qui ont des tumeurs douloureuses aux testicules, à la verge, à la vessie. Enfin, ou l'impuissance, ou la dépravation de la liqueur génitale, rendent stériles presque tous ceux qui se sont livrés longtemps à ce crime. »
Les remèdes de l'époque pour lutter contre cette pratique
A l'époque du Dr Tissot les traitements envisagés pour soigner l'onanisme consistaient principalement en des mesures d'hygiène tels que bains ou régimes alimentaires. D'autres remèdes furent également préconisés tels que l'application d'eau froide ou de glace sur les organes génitaux.
Au XIXème siècle apparaissent des moyens mécaniques comme la ligature des mains ou l'utilisation de camisole voire d'anneau pénien muni d'épines puis c'est au tour des traitements chirurgicaux comme la circoncision, la clitoridectomie (ablation du clitoris) ou la castration afin de guérir de cette perversion.
La pratique d'exercices physiques comme la gymnastique, la natation et tout travail corporel jusqu'à épuisement fut également longtemps préconisée pour lutter contre ce « vice solitaire ».
« N'oublions pas enfin que les exercices physiques poussés jusqu'à la fatigue sont le meilleur préservatif des pratiques solitaires »
Dr Louis Guiraud, Manuel pratique d'hygiène à l'usage des médecins et des étudiants (3e édition, revue et augmentée), G. Steinheil (Paris), 1904
Le Dr Paul Labarthe impose même certaines règles pour le couchage des enfants : « coucher les enfants dans une chambre sans parfums, dans un lit de crin, sans duvet ni édredon, enfermés dans une chemise très longue fermée par le bas, les bras hors des couvertures ; ne les laisser dormir que sept ou huit heures, et les lever sitôt qu'ils sont réveillés. »
En 1819, le Dr G. Jalade-Lafond pense avoir trouvé la solution contre la masturbation en mettant « un obstacle aux attouchements de la main sur les parties génitales. » C'est ainsi qu'apparaît la ceinture contre l'onanisme aussi appelée bandage ou corset destiné aux jeunes garçons.
L'auteur précise que grâce à ce corset l’enfant peut « s'habiller comme de coutume, sortir, se livrer à tous ses exercices ordinaires, uriner et aller à la selle, sans qu'il soit nécessaire de le défaire. » et explique que « les érections elles-mêmes peuvent avoir lieu ; mais n'étant plus excitées par des attouchements manuels, elles sont de peu de durée et deviennent de plus en plus rares ; et c'est ainsi que le jeune sujet finit par perdre l'habitude de l'onanisme. »
De nombreuses méthodes chirurgicales furent également essayées afin de lutter contre cette « abomination » :
- L'infibulation fut préconisée par le Dr Vogel en Allemagne vers la fin du XVIIIème siècle. Ce procédé consiste à faire passer un anneau métallique à travers le prépuce ou à travers les grandes lèvres dans le but d'empêcher chez le garçon toute érection volontaire et de placer le clitoris hors d'atteinte directe chez la fille.
- La cautérisation dont le but est d'engendrer de vives douleurs au niveau des organes sexuels destinées à décourager les onanistes. La cautérisation du clitoris fut pratiquée sur les jeunes filles et celle des conduits éjaculateurs sur de jeunes masturbateurs.
- La circoncision fut également pratiquée mais peu étaient convaincus de sa réelle efficacité :. « Il est bien rare que cette opération guérisse le malade : presque toujours elle manque son effet. » écrit Charles Lasègue dans le second tome d' Études médicales publié en 1884.
- La clitoridectomie fut proposée en 1858 par un gynécologue anglais Isaac Baker Brown comme la solution pour traiter la masturbation mais cette intervention fit rapidement l'objet de vives controverses et aurait été abandonnée en 1867.
- La castration (ablation des testicules ou des ovaires) fut également pratiquée sous couvert de la lutte anti-masturbatoire.
Remarque : L'infibulation est encore de nos jours pratiquée sur les jeunes filles en particulier en Afrique.
Remarque : C'est en 1822 que la première excision du clitoris fut réalisée par un Allemand dénommé Graefe afin de guérir de la masturbation.
La masturbation aujourd'hui
A l’heure actuelle, bien qu'elle ait été reconnue comme n’étant pas nuisible à la santé, elle souffre toujours de ces vieux mythes et de ce fait demeure un sujet dont on parle difficilement. En effet, même si elle n’est aujourd’hui plus considérée comme un vice par la plupart des gens, elle est toujours plus ou moins considérée comme un acte honteux dont on évite de parler.
« Aujourd'hui, nous savons que la masturbation est pour les jeunes comme pour les adultes qui manquent momentanément ou en permanence de partenaires sexuels, une façon tout à fait normale d'apaiser le désir sexuel. Ce n'est ni un péché ni une honte de se masturber et cela ne représente aucun danger d'aucune sorte »
O.Talman, le petit livre suédois d'éducation sexuelle, paris, 1968.
En résumé :
A propos de la masturbation, on peut dire que :
- La répression de la masturbation a vu le jour au début du XVIIIème siècle avec la publication de Onania en 1710 suivi de l'Essai sur les maladies produites par la masturbation du Dr Tissot. Il faudra attendre le milieu du XXème siècle pour que celle-ci ne soit plus véritablement condamnée médicalement.
- Accusée d'être responsable de nombreuses maladies physiques et mentales plus terribles les unes que les autres, nombreux sont les médecins et moralistes qui se sont acharnés au cours des siècles à condamner fermement ce plaisir solitaire.
- Mesures d'hygiène, appareils mécaniques, traitements chirurgicaux, l'imagination de l'homme fut très fertile entre la fin du XVIIIème et le début du XXème siècle dans la lutte anti-onanisme.
- De nos jours, elle reste un sujet plus ou moins tabou dont il est encore difficile de parler bien qu'elle soit reconnue comme un comportement tout à fait normal contribuant à l'épanouissement sexuel.
Sources
- Tissot S., L'onanisme : essai sur les maladies produites par la masturbation (Nouvelle édition, revue et augmentée de la traduction des citations latines), Paris : Garnier frères, 1905.
- Jalade-Lafond G., Considérations sur la confection de corsets et de ceintures propres à s'opposer à la pernicieuse habitude de l'onanisme, Paris : Mequignon-Marvis, 1819.
- Labarthe P., Dictionnaire populaire de médecine usuelle, d'hygiène publique et privée, Paris : C. Marpon et E. Flammarion, 1887.- Second volume : H-Z, p. 588-597.
Auteur de l'article
Mis à jour le 23 juillet 2020
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